Brunelle Lemonnier
L’Homme construit sa maison, la maison construit son Homme
Aout 2017
J’ai été embauchée pour aider un groupe de quatre jeunes navigateurs à créer un spectacle. Je me retrouve donc en résidence pour une semaine, à habiter la maison d’un ancien marin qui a traversé le monde sur son bateau, à l’époque. Lui et sa femme ont aujourd’hui presque quatre vingt dix ans. C’est la fin du repas, nous sommes encore attablés et nous les écoutons. Ils se rappellent. Ils nous racontent les lieux où ils ont grandit, la mer, la Bretagne… Ils nous parlent d’une époque lointaine qu’on n’a pas connue, et quand ils parlent on voit les images qui défilent dans leurs yeux, et toute l’émotion qu’elles suscitent, comme si on y était.
Je tends l’oreille : notre hôte parle maintenant d’un lieu que je connais bien, une rue de Paris aujourd’hui assez chic : il y habitait à huit ans. Il nous raconte la toute petite pièce dans laquelle lui et sa famille devaient s’entasser pour dormir, la difficulté de vivre sans l’eau courante, les rues immondes aux odeurs de fosse septique… Je n’arrive pas à croire que cette rue qu’il décrit et celle que je connais sont les mêmes… ça fait quatre vingt ans. C’est fou. Ce lieu n’a plus rien à voir avec ce qu’il en retient, mais lui continuera d’y voir cette même crasse qu’il a connue à ses huit ans.
La vision que j’ai du monde qui m’entoure est une vision parmis d’autres. Du haut de mon très jeune âge, et de mon très peu d’expérience, en écoutant parler cet homme je commence à comprendre que lorsque je regarde un lieu avec uniquement mes yeux, je perds au change. Je ne vois qu’une surface là ou d’autres gens voient l’histoire dans ce qu’elle a de plus sensible : c’est à dire l’histoire des gens qui ont vécu ce lieu, qui l’ont transformé, et qui ont eux même été transformés par lui.
Comment les gens construisent-ils leur maison ? Comme leur maison les construit-elle ?
La conversation se termine, tout le monde quitte la salle à manger. Le soir même, je cogite, et il me vient une question : ma « maison » à moi, la Lozère, comment ceux qui y vivent depuis des décennies l’ont-ils construite/déconstruite pour qu’elle me parvienne telle que je la connais aujourd’hui ? Comment le lieu a-t-il influé sur le cours de leurs vies ? Et nous, à notre génération, qu’est-ce qu’on en garde de tout ça ? Les histoire des gens qui ont vécu avant nous sont un patrimoine, qui repose en chacun de nous et qui nous a fait, nous aussi, tels que nous sommes.
Deux jours plus tard, j’écris les premières lignes d’un nouveau projet : je vais me rendre en Lozère avec une petite équipe de comédiens, et aller à la rencontre des gens. Leur demander pourquoi ils vivent ici, comment, depuis quand… Voir ce qu’ils nous répondront et écrire une histoire sur l’Homme et sur sa maison.
La Femme construit sa maison
Il y a deux ans, je suis allée interroger des gens sur leur histoire, comme je projette de le faire aujourd’hui. Je montais une pièce sur la lutte du Larzac (1971-1981). J’ai passé un mois sur le plateau, j’ai enregistré un vingtaine de témoignages… La plupart du temps, c’étaient des hommes. Logique, ils étaient au cœur de l’action. J’ai aussi interrogé quelques « femmes de… ». Et je me suis rendu compte que derrière l’histoire médiatisée de la lutte, il y avait une autre histoire particulière, peu connue : celle des femmes et des enfants.
Nous montions notre pièce pour parler de luttes, nous avons dû faire des choix et ce sujet « les femmes et les enfants » est passé à la trappe. Mais il m’en est resté cette envie : parler des femmes en milieu rural, de leur place, et de ce qu’elles vivaient/vivent au quotidien. De la manière dont cela a évolué aussi. De ce qui nous permet aujourd’hui en tant que femmes de « construire notre maison » nous aussi. De ce qui parfois nous en empêche encore…
Marthe
Marthe
Avec Elles
Etre
Une Femme
Un Homme
Un sexe
Porter le bagage de l’Histoire
Le fardeau
L’héritage
La société.
Questions
Remises en questions
Redéfinitions
Féminité
Virilité
Identité
Territoire.
Entendre des histoires
Nos histoires
Celles de nos mères
De nos grands-mères
De nos sœurs
De nos cœurs
Plonger dans la brèche pour mieux la voir
Une histoire
Un prisme
Con
Entre cons
Une rencontre
Un échange
Un partage
Une comparaison
Une découverte
Une confiance
Dire
Des choses qu’on ne leurs dirait pas
Qu’on ne s’est jamais dites
Qu’on ne dira plus
Qu’il faut se dire.
Creuser
Comprendre
Comprendre mieux
Quel est notre terre
Quel est notre sexe
Notre identité
Personne ne me dira qui je suis.
Maud
« La transmission sociale entre générations équivaut à la socialisation de la génération nouvelle, et en même temps, à la conservation de la civilisation. » (Willems, 1970)
J’ai grandi en écoutant ma grand-mère raconter à ses petits enfants son enfance pendant la guerre, sa jeunesse, ses début dans le monde du travail, sa volonté d’indépendance, mais aussi toutes ces histoires incroyables d’un autre temps, de nos arrières arrières grand-mères, grandes tantes ou cousines éloignées. C’est une femme qui a toujours eu le plaisir de raconter, et comme j’avais celui d’écouter, certaines de ses anecdotes ont hanté mon enfance, mon adolescence et ont finalement eu un rôle important dans mon développement. Ces histoires m’ont un peu appris d’où je venais et, comment peut-on savoir où on va, quand on ne sait pas d’où on vient?
Nous avons tous dans nos familles des histoires de femmes. Ce sont souvent les plus belles, les plus terribles. Peut-être parce que je me sens plus concernée, mais aussi et surtout, parce que les droits des femmes sont si récents, que nos arrières grand-mères vivaient dans un monde où elles n’avaient pas d’avis à donner ni de choix à faire, même concernant leur propres vies. Parfois, quand j’écoute ma grand-mère raconter son histoire, je pense soudainement au fait qu’avant 1967, la pilule contraceptive n’était pas légalisée en France. Nous avons toujours mille raisons d’être insatisfaites de notre condition de femme aujourd’hui, mais j’oublie parfois que pour la Femme, les avancées sont lentes. La contrainte de la norme sociale est encore lourde, pesante.
La libération de la femme a engendré de nouvelles questions. Comment être bien dans sa peau quand on nous colle des mannequins retouchées partout en nous répétant que c’est la norme? Comment montrer qu’être intelligente ne veut pas dire être moche, et qu’être jolie ne veut pas dire être conne? Comment expliquer que ce n’est pas parce qu’on a mis une jupe qu’on veut se faire toucher les fesses? Que si on aime se faire toucher les fesses, c’est un choix personnel et pas être une « salope »? Que si on ne veut pas se faire toucher les fesses, ce n’est pas être « coincée » ?
Garance
LA féminité, MA féminité.
« La féminité est l’ensemble des caractères morphologiques, psychologiques et comportementaux spécifiques ou considérés comme spécifiques aux femmes. Ils sont liés au sexe ou au genre, et fortement influencés, voire conditionnés par l’environnement socioculturel. »
Voici une définition que nous donne Internet de la féminité. J’ai besoin de cette définition pour me recentrer. Qu’est ce que ma féminité ? Qu’est ce qui me caractérise en tant que femme féminine ?
Si cette question me paraît aussi vaste c’est parce qu’il existe autant de façon de vivre sa féminité que de femmes et d’hommes sur terre ; mais également parce que ce mot est souvent mis à mal par ces magazines ou par ces émissions de beauté ou de « relooking » qui le confondent avec « sensualité ». La notion de féminité est réduite à un simple rapport de séduction sexuelle.
Comment trouver SA féminité dans toutes ces définitions qu’on nous donne ? Ou qu’on nous impose ?
Je ne pense pas que la mienne se limite à mon désir de paraître séduisante : je la trouve dans ma liberté à choisir si oui ou non aujourd’hui je veux paraître séduisante ou bien si je veux mettre mes attributs féminins en avant, ou alors au contraire si je n’ai pas envie de faire d’efforts particuliers ou si je n’ai même pas envie de me poser la question.
En écrivant cela je me dis : « ce n’est pas vrai Garance, ta féminité tu la vis aussi dans le regard de l’autre. Tu ne t’es jamais senti aussi féminine que dans un rapport de séduction avec quelqu’un ». Mais, je réalise que je me suis fait prendre au jeu des magazines du
TA FÉMINITÉ = TA SENSUALITÉ
alors que
MA FÉMINITÉ = MA LIBERTÉ DE CHOISIR À ÊTRE SENSUELLE
Je pense que la féminité n’est pas une notion universelle et immuable, elle évolue avec les années et selon les personnes et les cultures.
Ce projet est une véritable chance de découvrir, lier et faire cohabiter les différentes féminités : mes partenaires de jeu sont trois femmes avec des féminité complètement différentes de la mienne.
Échanger avec des femmes de générations diverses. Découvrir différentes façons de vivre femme. Construire un spectacle autour d’elles, autour de nos discussions, découvrir un territoire par leur prisme.
Marine
Un projet
Écrire, parler, chanter, danser, jouer sur la vie. Sur la vie de l’Homme. Sur les vies des femmes.
Des quoi ?
Des femmes !
C’est quoi une femme ?
SILENCE.
Je panique. Répondre. Dire quelque chose. N’importe quoi mais parler.
Euh …
Rien ne vient. Continuer à chercher et finir par répondre.
Je ne sais pas.
Bah t’es qui toi ?
Moi, qui je suis ?
Une fille ! Non plus vraiment. Une femme ! Pas tout à fait. Une jeune femme ! Pourquoi pas ?
Alors c’est quoi être une femme ?
Seule chez moi je m’interroge. Pour m’aider je regarde dans le dictionnaire et je trouve : « Être humain de sexe féminin qui met au monde des enfants. » Ça ne m’avance pas. De tout évidence j’ai un sexe féminin, je suis donc une femme. Mais voilà je ne me sens pas vraiment « Femme ». Est-ce dû au fait, si j’en crois le maître des définitions, que je n’ai pas encore mis au monde un enfant ? Mais certaines se sentent femme bien avant avoir eu des enfants et d’autre ayant eu des enfants ne sentent pas elle-même femme. Alors qu’est ce qui fait qu’on se sent femme ?
Je m’arrête. Pas de réponse.
Seule chez moi, je cherche. J’ai toujours pensé que j’étais un être humain avant d’être une femme. Les sentiments et les sensations sont les mêmes qu’on soit une femme ou un homme.
Et pourtant, pourtant… On nous impose une différence. Quelle est la différence entre la femme et l’homme ? Si je regarde une nouvelle fois dans le dictionnaire, je trouverai à côté du mot homme « Etre humain de sexe masculin. » Toi tu es homme parce que tu as un pénis et toi tu es femme parce que tu as un vagin. Mais certaines personnes nées avec un sexe masculin se sentent femme et certaines personnes nées avec un sexe féminin se sentent homme. Il y aurait donc quelque chose qui détermine cette sensation ?
Je soupire. Pas de réponse.
Seule chez moi, je m’épuise. Il me manque un dialogue.
Alors c’est quoi être une femme ?
Je ne sais pas.
Alors pourquoi ce projet?
Parce que seule je ne trouve pas de réponse.
Parce que ce projet n’en demande pas.
Parce que c’est une recherche de l’autre, sur l’autre avec soi.
Parce que c’est un échange humain.
Parce que c’est un questionnement de la vie, la vie de l’Homme, les vies des femmes.
Et parce que c’est ensemble que nous allons vivre cette aventure.